
L’expertise :
Nous sommes en 1980, j’ai 29 ans. Je viens de quitter, sans regret, mon emploi de cadre, considérant cette entreprise sans avenir. Je pourrai prendre un peu de temps pour aménager mon jardin et réaliser quelques finitions de notre nouvelle maison de Martillac.
Mais j’ai une idée en tête qui m’interdit de ne pas l’essayer, d’autant plus que certains salariés compétents n’attendent pour me suivre, que la déconfiture définitive de la société EMSO, ce qui ne saurait tarder.
Cela fait quelques temps que je vis sous le principe commercial de l’accréditif des mairies, et le fait d’utiliser la notoriété d’une fonction reconnue, pour faciliter une action commerciale, me parait plus que jamais un système opérationnel.
Les maires ne sont plus, selon moi, des candidats qui conviennent, car les décisions appartiennent de plus en plus au Conseil Municipal, dans son ensemble. Cette situation rend les négociations beaucoup trop longues et aléatoires.
Le chômage pointe son nez, bien qu’il soit ridiculement faible. Cela génère une légère inquiétude chez les parents habitués depuis longtemps au plein emploi : Ils se questionnent sur l’avenir de leurs enfants. Ils ont besoin d’un discours optimiste.
Nous allons donc faire la promotion des métiers du commerce et de l’artisanat, qui représentent un moyen rassurant de générer son propre emploi, au cas où le marché du travail, se dégraderait.
Pour cela, nous allons nous appuyer sur une personnalité influente, qu’est le Directeur de l’école locale.
L’action :
Nous avons obtenu l’assentiment de la Chambre des Métiers de la Gironde, qui a une vision favorable de notre démarche, sans vouloir cependant être notre partenaire. Cela va quand même nous permettre de présenter cette démarche sans encombre.
C’est ainsi que nous rencontrons les Directeurs d’écoles, invités à une soirée d’information, dans un grand hôtel de la ville, dans le but d’obtenir leurs accréditifs validant notre démarche. Leurs participations nous permet de contacter nos prospects (commerçants et artisans dans le secteur de chaque école) pour leur proposer d’insérer leur activité dans le jeu, que nous avons créé. Cela ressemble à un grand « jeu de l’oie » qui, sous forme de dessins représente les différentes professions.
Deux enfants, Isabelle, 12 ans et Bertrand, 9 ans, se promènent dans leur ville, à la découverte des métiers. Ils progressent de case en case, du départ à l‘arrivée, grâce au lancé de dés, avec parfois l’obligation de lire un texte concernant les règles des différents métiers. Ce jeu permet donc une découverte des professions, avec un caractère éducatif.
Les dépliants sont remis à l’école pour être distribués à chaque élève. Les deux personnages et les dés sont remis aux annonceurs, qui participent financièrement par leur insertion et s’engagent à recevoir, par petits groupes, des jeunes pour leur montrer leur métier et leur remettre, les deux petits personnages et les dés.
A cette occasion, le bon contact qu’ils auront avec les jeunes, en visite chez eux est la meilleure garantie de s’assurer de la future clientèle des parents. Ainsi, le boulanger qui montrera aux enfants la cuisson des pains aux chocolats offerts à a sortie du four, risque fort de voir les parents venir chercher leur pain, demain chez lui.
Les commerçants l’ont bien compris et nous réservent souvent un accueil favorable.
Trente-deux cases, soit 32 insertions publicitaires par jeu et on peut en recommencer un autre. L’espace n’est épuisé qu’après prospection de tous les patentés. C’est magique …
Ces planches de jeu ne coûtent pas cher à imprimer, car une fois l’impression du fond en couleur, tiré en grand nombre, il suffit d’un repiquage en noir, pour individualiser le jeu : C’est très rapide et peu couteux. Les enfants reviendront de l’école en disant à leurs parents : « Aujourd’hui, la maîtresse nous a donné un jeu ».
J’ai choisi d’implanter le siège de la Société COMETRA (Connaissance des Métiers de l’Artisanat) à Dax car je suis encore, sous le coup d’une obligation de non-concurrence avec mon ancien employeur, et Dax se trouve à la limite géographique de cette interdiction.
Avec une dizaine de commerciaux, nous avons, en quelques mois, écumé les principales villes du département des Landes. Nous sommes prêts à prospecter le Lot et Garonne, Le Gers, le Pyrénées Atlantique..Etc.
L’écueil :
Grande est ma surprise d’être convoqué au Ministère de l’Education Nationale pour m’expliquer sur la portée de cette opération. Je reconnais, à Isabelle et Bertrand, des qualités éducatives, mais pas au point d’en être remercié au niveau national !
C’est donc, non sans fierté que je m’y présente. Mon enthousiasme et ma naïveté ont étouffé ma lucidité. Mon ignorance consiste à ne pas savoir que la publicité à l’école est interdite par le règlement de l’Education Nationale. Mes explications sur le fait, que nos clients sont privés, et qu’aucune action commerciale n’est engagée avec les écoles, se heurtent violemment aux dictats des énarques rencontrés. Les boutonneux de l’Administration ne me laissent aucune chance et je vais droit dans le mur.
Quelle déception !!!
Combattre juridiquement l’Administration n’est pas à ma portée ; l’histoire du pot de terre contre le pot de fer.
Je décide donc de tomber les gants.
C’est alors qu’un groupe parisien, que je connais de réputation compte tenu de sa taille importante, me contacte. Ils ont entendu parler de mon problème et me propose de reprendre mon activité et mon brevet, car ils se sentent capable de mener le combat.
L’affaire n’est pas très chère payée, mais au moins, j’en tire un profit raisonnable, et de plus ils conservent l’équipe sur place. J’accepte donc la transaction, sans prendre le risque de la négocier. J’ai appris plus tard qu’ils avaient perdu le combat avec l’Education Nationale.
Pour moi, l’aventure d’Isabelle et Bertrand est terminée.
J’en garderai un souvenir joyeux, avec une fin amère.
