Quand l’Europe manquait d’informaticiens

« Ce texte est proposé par notre ami Bernard, qui nous raconte une histoire vécue de sa vie professionnelle. »

La genèse
En 2003, à 56 ans, après une carrière internationale dans une multinationale puis un poste de Directeur Général d’une société de 600 millions d’euros, me voilà à acquérir des sociétés en position majoritaire dans la vente de services et produits informatiques.
Dès 2004, j’avais un portefeuille de 4 sociétés servant la distribution informatique, les serveurs, les réseaux et la sécurité informatique. Une cinquantaine de personnes, des dettes, des enjeux technologiques et logistiques, des restructurations avec son train de fermetures d’agences, de licenciements et d’embauches orientées vers le service.


Deux rencontres – un projet
Lors d’un recrutement, un développeur/analyste roumain, réfugié politique, me fait part du potentielque représente la Roumanie dans le développement informatique. Alors qu’en France et Europe occidentale, il était difficile de recruter des ingénieurs en informatique, le régime communiste avait poussé de nombreux étudiants vers les Sciences. A cette époque, la Russie avec les universités de St-Petersbourg et la Roumanie avec les universités de Cluj Napoca (Transylvanie) se distinguaient. Jedécidais de m’orienter vers la Roumanie, car ce peuple latin était libéré de Ceausescu ; l’Europe ne pouvait à terme que tendre les bras à ce pays composé d’une élite très cultivée. Après analyse, le différentiel des salaires annuels était très important 13800€ par an pour la France et 1800€ par an pour la Roumanie en 2004. Une opportunité se précisait, tout en conduisant mes autres activités.
Ma seconde rencontre fut dans le cadre de mes activités de services informatiques. Une banque française recherchait à optimiser les saisies des lignes CMC7 des chèques. Pour information, la ligne CMC7 des chèques est la ligne imprimée en encre magnétique en bas de tous les chèques. Les chèques font l’objet d’une double saisies et avec deux procédés distincts. L’un en reconnaissance optique, l’autre un procédé « humain » de frappe type machine à écrire. Les deux fichiers créés sont rassemblés pour rechercher les incohérences de saisies car les deux saisies doivent être identiques.
Des salles entières de perfo-vérifs travaillaient la nuit entre 18 heures et 4 heures du matin pour délivrer les données et effectuer les compensations inter bancaires pour que les comptes bancaires après compensation soient mouvementés dès 9 heures du matin.
Le projet, je l’avais en tête. Je décidais de créer une société en Roumanie et une interface en France pour que la saisie manuelle se fasse en Roumanie sur des fichiers « images » de chèques transmis par les banques, dans mon « tuyau » et retour des fichiers « données » aux banques avant 6 heures du matin, par mon « tuyau ». Les services informatiques des banques étaient enthousiastes.


L’opérationnel :
Je parle anglais et allemand et je ne connaissais pas la Roumanie ; Rendez-vous est pris avec le conseiller économique de l’ambassade de France à Bucarest et via des relations, je contacte à Cluj-Napoca, le gérant d’une société informatique pour tester avec lui le modèle économique, social et la législation roumaine.
Je découvre Bucarest. A l’ambassade de France, on me confirme que la Transylvanie, ancienne province de l’empire austro-hongrois a un système rationnel ou la probabilité est forte que 2 +2 font 4. Au sud des Carpates, donc à Bucarest, ancienne province sous domination ottomane, la rigueur est orientale et plus « clanique ».
Le soir même à la gare centrale de Bucarest, train de nuit vers Cluj-Napoca. Je passe sur mon train couchette en première classe …j’ai passé toute la nuit dans le couloir à parler avec un professeur d’université de Cluj dans un français digne d’un académicien.
A l’arrivée dans la gare de Cluj, vers 5h du matin, un grand gaillard, Adrian, m’attendait avec un panneau nominatif. Son français était parfait, il parlait couramment hongrois, russe et anglais. Il était ingénieur informatique et surtout fils du préfet de la région d’Arad- Oradea, villes frontalières avec la Hongrie (>500 000 habitants). J’ai par la suite apprécié, avec la suppression de la « securitate », police politique du Parti, l’entregent efficace d’Adrian pour obtenir le bon document, le bon tampon et faire en une journée, ce que d’autres avaient en 6 mois ou jamais  !!! Lors de grandes chasses, Adrian, petit, sautait sur les genoux de Ceausescu, malgré tout il était, en 2004, vraiment occidental avec des valeurs « capitalistes » !
Je lui précise le jour même : « Je lui donne 49% de l’entreprise roumaine à créer, j’en garde 51% et il ne paie rien » Il doit créer la société à Cluj. Les fichiers images des chèques à très hauts débits nécessitaient une location et un partage de vacations satellites réseaux TV avec des frais fixes lourds d’antennes en toiture et des autorisations  « militaires » des transmissions.
Adrian rebondit et il me proposa que ce qui était possible avec des perfo-vérifs roumaines, il était plus judicieux de le faire avec des ingénieurs en informatique roumains détachés en Europe de l’Ouest et/ou des travaux informatiques sur place pour des clients européens ne nécessitant pas des transmissions de fichiers lourds. Cette idée était géniale car le différentiel des salaires entre Roumanie et Europe était plus important pour des ingénieurs que pour des équipes de perfo-vérifs et de plus ce type d’activité nécessitait très peu d’investissement.
Les banques ont été prévenues de la non-faisabilité technique du projet initial.


Le développement
Les sociétés roumaines et françaises de services informatiques furent créées. Je vendis la société de quarante personnes afin de voir plus clair dans mes développements. Les nouvelles sociétés n’avaient pas besoin de beaucoup de cash. Chaque société 100 mètres carrés de bureaux, des ordinateurs et du juridique. Du côté français, l’activité était la vente de compétence et recherche des besoins des SSII et la gestion des flux d’ingénieurs vers les sites clients. L’activité de la société roumaine était de rechercher des ingénieurs en informatique, les embaucher afin qu’ils soient disponibles pour des entretiens d’embauche en anglais ou parfois en français avec les clients européens. Notre tarification
était 20 à 25% moins cher que l’intérim, avec la possibilité d’embauche en CDI, si dédommagement de 6 mois. Un peu de communication, quelques salons professionnels. Le Portugal, la Grande Bretagne, la France furent nos clients essentiels. En Roumanie, Adrian rabattait des ingénieurs vers l’entité roumaine en recrutant des profils même s’ils n’avaient pas de missions à l’étranger. Nos catalogues s’étoffaient. Nous avons organisé 3 voyages en jets privés Le Bourget/Cluj avec une dizaine de responsables RH de SSII, à Cluj-Napoca plus de 200 ingénieurs pré-triés se présentaient pour être embauchés en Europe. La société française s’occupait de tous les papiers, cartes de séjour, permis de travail, logements et même un véhicule. La société française respectait une convention de service vis-à-vis de la société roumaine. L’émission « Capital » sur FR3 nous fit les honneurs. Nous n’arrivions pas à suivre la demande. Les grandes migrations banques, assurances, du langage COBOL vers des langages plus évolués étaient effectuées. L’ouverture européenne avançait rapidement et le différentiel entre Europe et Roumanie diminuait. Après 5 ans, j’arrivais à 60 ans, l’heure de tirer ma révérence, ce qui fut fait. On s’est bien amusé, un peu fier d’avoir permis à des ingénieurs de s’installer au Canada, USA, France Belgique. Tous les ans, je retrouve Adrian avec sa Subaru, ses 4X4, la pêche dans le delta du Danube, les chasses privées vers Arad, il connait le banc d’Arguin et les huitres.

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