On en parle.
De nombreuses histoires courent sur la recette du Crabe à l’entonnoir et son origine.
Par exemple, ce journaliste baroudeur qui ramène de ses voyages autour du monde, des recettes inédites et originales, qu’il propose aux grands chefs, raconte ainsi sa découverte.
« Le Crabe cuit au barbecue est une première. Cette technique de cuisson nous vient tout droit d’un cuisinier français, qui partit pour une découverte de la mangrove en pirogue, se serait perdu dans ses méandres aquatiques. La nuit tombée, il se serait résigné à dîner d’un crabe des mangroves tombé dans sa pirogue, qu’il aurait grillé au feu de bois »
Mais voici.
Je vais vous conter la véritable histoire du « crabe des mangroves », moins poétique, mais tout aussi amusante, pour être le créateur de cette recette.
Mon épouse et moi, français expatriés en pays exotique, avons créé en 1997, un hôtel restaurant bungalow, en bordure d’un grand lagon.


Notre clientèle de touristes venait y séjourner, et se régaler de notre cuisine originale, à base de produits locaux, dont, bien évidemment, le fruit de la pêche dans le lagon : les poissons grillés sur le dos, le poulpe à la tomate, les calamars farcis, ou les gambas flambées.
Nos clients résidents, dînaient automatiquement au restaurant par notre situation géographique isolé, mais en journée, beaucoup partaient en excursion découverte, sur le lagon.
Notre équipe de cuisine et de service se trouvait ainsi en sous régime le midi, et cette nonchalance, qui perdurait en soirée, était préjudiciable à la nécessité du service, très actif, utile pour le dîner du soir : Il nous fallait donc trouver un moyen d’attirer une clientèle extérieure pour le repas du midi, en provenance des clients des hôtels locaux les plus importants., et cela pour conserver le bon rythme, en soirée.
Pour cela, il fallait se démarquer par un plat d’exception, ou de réputation fortement médiatisée, qui attirerait cette clientèle, malgré l’aventure du déplacement, par la piste chaotique, pour se rendre à notre restaurant.
Je me suis donc mis en quête, à la recherche d’un plat original et attractif. Le Crabe des mangroves m’est rapidement apparu comme le candidat idéal, car cette sorte de grosse étrille habitante des mangroves, à la chair particulièrement délicieuse, bénéficie dans l’assiette, d’une présentation naturellement attractive.
Malheureusement, cette étrille, comme tous les crabes, y compris notre tourteau national, à la particularité de n’être bon et gouteux que lorsqu’il est « plein », comme on dit, et de goût désagréable lorsqu’il est « vide ». De longues recherches m’ont permis découvrir le pourquoi de cette particularité.
Deux secrets.
Je vous en livre ce premier « secret ».
Le pancréas du crabe à la particularité, contrairement à celui de l’homme, de produire la même quantité de sucs gastriques acides, pour dissoudre les aliments ingérés, et cela quel que soit le remplissage du bol alimentaire de son estomac. C’est pour cela que vous avez remarqué, qu’un tourteau vide contient une matière plutôt foncée et acide de goût, alors qu’un crabe plein contient une matière plus claire et gouteuse, car les sucs gastriques foncés sont dilués avec la chair plus abondante.
C’est aussi pour cela, que votre poissonnier, vous invite à choisir un crabe femelle, souvent plus plein, qu’il sélectionne pour vous en le soupesant dans sa main.
En effet, les femelles sont souvent plus pleines, car elles s’alimentent plus régulièrement que les mâles, qui, perturbés par leur obsession de reproduction, passent de longues périodes à oublier de se nourrir.
Selon mon épouse, il paraitrait que certains mâles humains porteraient la même tare ? Encore une vision féministe ?
Pour assurer à ma future recette, la régularité de qualité nécessaire à son succès, il me fallait donc résoudre ce premier dilemme.
Vient le moment, de vous livrer le deuxième secret, en trois actes :
Comment faire pour que mes crabes, soient toujours particulièrement « pleins » : Donc comment faire pour qu’ils se nourrissent abondamment et régulièrement ?
Le crabe se nourrit essentiellement la nuit. Il fallait donc remplir trois conditions à son bon nourrissement :
- Lui faire croire qu’il fait toujours nuit,
- Lui faire oublier sa condition naturelle de mâle reproducteur,
- Lui fournir une nourriture adaptée et abondante.
Pour qu’il se croit toujours en vie nocturne, je l’ai rendu aveugle, en lui installant une lanière en caoutchouc comme lunettes lui masquant la vue. Je pense que lorsque mes marins ont découpé, des rondelles de chambres à air de vélos, pour cercler les yeux de nos crabes, ils ont dû penser que leur patron perdait la raison.
Comme tout mâle, l’obsession naturelle de reproduction, se trouve fortement entamé en condition d’emprisonnement : J’ai donc décidé de fabriquer des cages, étroites et longues, afin que butant sur les parois dans ses moindres déplacements, il s’y sente prisonnier, oubliant ainsi ses besoins sexuels. J’ai donc tenté ce coup.
La recherche de la bonne nourriture adaptée, m’a demandé quelques efforts, générant ce qui pouvait être considéré, comme revêtant une attitude quelque peu obsessionnelle, vu de l’extérieur.
C’est ainsi, que j’ai passé pas mal de nuits, équipé d’une lampe frontale, sur ma pirogue dans la mangrove, à observer, la nutrition de mes étrilles qui semblaient grignoter quelques feuilles de palétuviers et quelques cadavres de crevettes. Mais patiente et longueur de temps font plus que force ni que rage, et la chance m’a souri.
Un soir ombrageux, sur les coups de minuit, un méchant coup de vent détacha des feuilles de papayers sur lesquelles les crabes se jetèrent comme des forcenés.
En croquant une feuille moi-même, je compris l’intérêt « crabistique » pour la douceur parfumée de cette feuille. J’allais donc garnir mes cages-prisons de cette douceur culinaire, abondante et gratuite.
Ajuster le tir.
Ces recherches furent concluantes, et j’obtenais le savoir-faire, d’un crabe assurément rempli et gouteux.
Il fallait maintenant le cuisiner en sublimant le goût.
L’originalité de griller entier, sur feu de bois, mon crabe répondait à ces exigences de goût et d’innovation.
J’obtenais ainsi ce parfum particulier de fumé, mais il me fallait résoudre l’inconvénient de l’asséchement que provoque la grillade. De plus ce mode de cuisson ne permettait pas, à priori, l’assurance d’un crabe bien cuit qui devient vite immangeable trop cru ou trop cuit.
Enfin, il pouvait paraitre difficile de l’assaisonner ou de le parfumer à cause de sa carapace étanche et fermée.
Et si, je perçais sa carapace pour y insérer un petit entonnoir alimentaire, rempli d’huile assaisonnée et parfumée ?
Je réglais ainsi la cuisson et l’assaisonnement. Quand le crabe, sous l’effet de la chaleur du grill, commençait à s’assécher, cela permettait au contenu de l’entonnoir de se vider en emplissant les chairs des gouteux parfums de l’assaisonnement fait d’huile d’olive, de gingembre, sel, poivre et basilic. Bingo ! l’entonnoir était vide et le crabe cuit à point, et bien assaisonné. De plus, en cadeau, quelle belle image que ce grill couvert de crabes surplombés d’un entonnoir, que nos clients avaient temps de plaisir à photographier, nous assurant aussi une bonne publicité.




Savoir-faire et faire savoir.
Le savoir-faire étant acquit, fallait-il le faire savoir.
Mon premier réflexe commercial fût d’inviter mes amis, propriétaires d’hôtels concurrents, à une soirée dégustation de ce nouveau plat. Ils seraient, si le pari était réussi, l’assurance pourvoyeuse de leur clientèle.
L’expérience s’avéra quelque peu rocambolesque. Vous connaissez certainement l’expression « se mettre une étrille » lorsque l’on observe deux enfants, se bagarrer nerveusement : Devinez son origine ! A l’opposé du tourteau dormeur, ce crabe de la famille des étrilles, a bien hérité de cette nerveuse agressivité.
C’est pour cela, qu’en cherchant à percer la carapace de nos crabes, avec une mèche de 10, pour y insérer l’entonnoir, nos cuisinières se sont retrouvées perchées sur la table centrale, alors que les garçons couraient, perceuse à la main, après nos crabes dans l’espoir de les percer.
Nous avons donc fait un peu durer l’apéro, pour servir ce plat que toutes les convives ont appréciées.
Le succès.
J’ai réglé la difficulté en fabricant une pince à occire, à savoir une pince de cheminée percé en son centre d’un trou, permettant à la perceuse de perforer la carapace à l’endroit exact, qui permettait de tuer sans souffrance, tout en immobilisant l’animal.
Je profitais de cet accessoire amusant pour éditer une recette qui inviterait à la curiosité.
Ustensiles nécessaires à la recette : « une pince spéciale à occire, une perceuse et sa mèche de 10 mm, un entonnoir alimentaire… etc… » Tout ça pour cuisiner… ?
Un groupe de journalistes, de grandes revues grand public français, de passage pour déjeuner, séduits par la formule et la qualité du plat, me servirent d’une couverture médiatique exceptionnelle.
Tout touriste débarquant, réclamait sans délais, l’adresse de ce restaurant qui cuisinait ce fameux « Crabe à l’entonnoir »
Notre service du midi, s’en trouva très chargé, pour réclamer ce plat, qui effaçait toutes nos autres propositions.
Nos équipes de cuisine et de service s’activaient pour servir et récupérer, en retour, des pourboires très motivants qui doublaient leur salaire, avec parfois deux services nécessaires.
Tout le monde était ravi, y compris notre trésorerie.
Une anecdote :
Quelques temps après, deux garçons américains dynamiques, découvrant ce plat à notre table un midi, insistèrent pour m’inviter à mettre en place cette recette, dans leur restaurant, aux Etats-Unis.
Leur carte comportait en effet, un « crabe bleu des sables », qu’ils auraient trouvé génial d’engraisser et de cuire à ma manière, pouvant, selon eux passer leur plat de 35 à 70 dollars. Je refusais cependant leur aimable invitation car notre planning n’allait pas en ce sens.
Mais, comme tout entrepreneur américain qui se respecte et qui y va à fond, je recevais trois semaines plus tard, une grande enveloppe DHL, avec deux billets pour les Etats-Unis, pour ma femme et moi, une photo de la Lincoln Continental Cabriolet qui nous était réservée, ainsi que l’appartement somptueux mis à notre disposition.
C’était gentil, mais nous renoncions cependant, pour retrouver notre tribu en France, sur nos seuls congés disponibles. Je les remerciais et retournais les billets d’avion.


Voilà, vous savez tout.
En 2007, lors de la cession de nos affaires, nous avons inclus dans le restaurant, l’usage de cette particularité culinaire, que les nouveaux propriétaires ont, bien sûr, fait perdurer.
Sans présumer de la qualité actuelle du plat, il serait toujours servi à la table du restaurant.
Si vous y passer pour déjeuner, vous pouvez bien sûr créer la surprise originale, en demandant un plat de frites, sinon dites-nous, en retour, si ce Crabe des Mangroves est toujours délicieux.