Episode 6 : La Saga de Cap Sainte-Marie

Nous sommes en 2002, j’ai 51 ans, et nous sommes installés sur l’île Sainte-Marie (Nosy Boraha) à Madagascar depuis quelques années. « Boraha-Village », notre hôtel-loisirs de la côte Est, tourne bien, mais la fréquence des vols sur ATR 42, d’Air Madagascar, entre l’aéroport international d’Antananarivo et Sainte-Marie, ne permet pas de répondre, en période de pointe, a toutes les demandes touristiques.
Dans ces conditions, il est difficile d’augmenter la fréquentation des hôtels de l’île.

La traversée de la mort :

Il existe un autre moyen de rejoindre l’île Sainte-Marie au départ d’Antananarivo, la capitale où les vols internationaux atterrissent. En reliant la capitale à Tamatave (Toamasina), port de la côte Est, en bus sur 350 kilomètres, puis de Tamatave à Soanierana-Ivongo en taxi-brousse sur 160 kms, il est possible alors d’embarquer pour une traversée maritime en direction du « Barrachois », qui est le port de l’île Sainte-Marie.
Cette traversée en bateau de 1h30, est particulièrement dangereuse et des naufrages réguliers, entachent sa réputation.
Deux raisons expliquent cette situations :
– Le port de Soanieran-Ivongo se trouve sur la rivière Marimbona dont l’embouchure sur l’océan, impose de franchir des hauts-fonds, à cause des bancs de sable qui s’accumulent et qui forment des rouleaux dangereux, en cas de houle.
– Les vieux bateaux malgaches qui proposent cette traversée sont totalement inadaptés à ces conditions difficiles, mal entretenus et toujours surchargés.
Il découle de cette situation que les touristes renoncent à prendre ce risque.

Personne n’avait osé :

Avec mon ami plongeur italien, Massimiliano, nous décidons d’étudier sérieusement l’organisation d‘une traversée aller-retour quotidienne, de qualité, de Soanierana-Ivongon à Sainte-Marie.
Cela passe inévitablement par la construction d’une embarcation adaptée dont, dans un premier temps, nous définissons les caractéristiques techniques.
Il nous faut un bateau de taille moyenne, assez grand pour une trentaine de passagers, mais pas trop pour conserver une bonne souplesse de navigabilité, entre 14 et 16 mètres. Pour la motorisation, nous choisissons de l’équiper de deux moteurs in bord diesel de 250 Cv, avec une propulsion Z-drive, grâce à deux embases Mecruiser Turbo, de grande qualité.
Cela nous sert d’une bonne puissance et de la possibilité d’affronter des hauts fonds en relevant partiellement les embases des moteurs. L’équipement avec deux moteurs est choisi pour des questions de sécurité. Il est hors de question de supporter une panne au beau milieu de l’embouchure, chahutée par les brisants, ces deux moteurs devront également faire l’objet d’un câblage électrique individuel.
Comme il n’existe pas, à notre connaissance, de bateau disponible sur Madagascar correspondant à l’exigence de nos critères, il nous faut le faire construire.
Nous retenons une coque en résine de polyester, sur bandes de fibres de verre, par la technique du moulage dit « au contact ». La difficulté consiste à trouver un moule de coque adaptée à la carène que nous avons retenue, avec une étrave en V semi profond évolutif. Cette forme d’étrave permet un bon passage des brisants, tout en conservant une vitesse suffisante et un confort acceptable.

La construction :

La chance nous sourit car nous découvrons qu’un Zanatany, français d’origine (étranger à Madagascar, mais exilé de longue date et considéré comme un enfant du pays) a fabriqué un moule précisément adapté à notre descriptif. La difficulté consiste à obtenir son accord pour utiliser son moule, moyennant finances, car ce personnage aisé n’a pas, a priori, besoin d’argent.  Il nous faudra donc jouer sur d’autres motivations. Après plusieurs rencontres et de nombreuses explications, c’est par gentillesse que ce Zanatany, acceptera cette location.
Pour le chantier naval capable de construire cette unité, nous faisons appel à POLYMA, dirigé par Olivier Sartor qu’il nous faudra également convaincre de se lancer dans cette fabrication.
Cela fait, Massimiliano et moi-même, devons réaliser les plans du pont, de l’agencement de la cabine passager et du poste de pilotage. Cette embarcation transportera des touristes et des locaux. Les malgaches ont une idée particulière du transport, qui les amènent à embarquer une quantité démesurée de bagages par passager. Le prix du billet passager comprend, dans leur idée, la prise en charge de toutes sortes de denrées ou tous les bagages du déménagement de la famille. Cela est incompatible, en particulier avec les questions de sécurité. C’est, en autre pour cela, qu’ils coulent avec leurs embarcations et leurs bagages. Nous décidons donc de configurer le pont, en entreposant les bagages en soute, sous un plancher basculant sur charnières : Cet espace exclusif aux bagages limitera la profusion.

La cabine des passagers comportera 30 places maximum numérotées, interdisant la surcharge. Un taud rigide sur ossature en tubes inox, agrémenté de bâches amovibles sur glissières, permettra d’éviter les embruns. Le poste de pilotage comporte deux places assises pour le commandant et le mécanicien. Le bateau, de couleurs bleu et blanc, immatriculé au port de Tamatave, portera le nom simple de « Cap Sainte-Marie ».
Comme à mon habitude, je réalise une maquette à l’échelle de cette embarcation.
C’est en utilisant nos qualités respectives, que Massimiliano et moi, négocions le devis de cette fabrication tout en imaginant que cette négociation se poursuivra tout au long de la fabrication, à cause des difficultés et des aléas rencontrés. Cet objectif d’un prix compétitif devient un impératif quand on connaît Massimiliano, très sensible au prix payé !… Mais aussi très habile à l’obtenir…

Le Buzz :

C’est ainsi qu’après quelques mois de fabrication, agrémentés de débats permanents sur la qualité, mais aussi sur le prix, que Polyma, nous livre notre superbe embarcation. C’est non sans fierté que, mis à l’eau à Tamatave, nous effectuons la traversée, jusqu’au port Barachois de Sainte-Marie. Nous avons habillé notre équipage d’un uniforme au couleur de Cap Sainte-Marie, lunettes Ray ban sur les yeux et casquette estampillée sur la tête. C’est la classe !

Se produit alors un phénomène que nous n’avions pas soupçonné. Non seulement des journalistes bien informés nous attendent, caméra au point à notre arrivée, mais les journaux télévisés du soir et les journaux imprimés du lendemain, nous font une place en première de ce lancement. Sans le vouloir, nous faisons le Buzz !! Et cela va nous être bien utile commercialement, mais aussi nous mettre quelque peu la pression.

Le business :

Massimiliano s’occupe du côté « maritime » de l’affaire : Choix des deux commandants, de l’équipage, de l’embarquement, du débarquement et des traversées.
De mon côté, je suis l’homme de l’organisation commerciale, des réservations de la clientèle et de la gestion financière.
Ce partage des tâches fera merveille, tant qu’il utilise parfaitement nos qualités respectives.
Bien heureusement, j’avais imaginé la probabilité du succès rapide de cette offre de traversée, attendu depuis longtemps par tous les opérateurs touristiques, mais que personne, avant nous, n’avez osé.
J’avais donc préalablement mis en œuvre une organisation, en motivant le personnel de mon agence commerciale à Tananarive, en donnant la possibilité aux nombreuses Agences de voyages de la capitale pour réserver pour leurs clients et enfin en préparant mes équipes de Boraha-Village à l’éventualité d’un encombrement de nos lignes téléphoniques.

Quelques temps avant, un jeune garçon fort sympathique et très dynamique s’était présenté à mon hôtel pour effectuer un stage de formation, prévu dans le cadre de ses études hôtelière en France. Il avait pour cela, signer un contrat avec un hôtel concurrent de la côte ouest de l’île. Les choses se passait mal ,car son amie bénéficiait également d’un contrat du même type avec un autre hôtel. L’employeur de Bruno, voyait cela d’un mauvais œil, pensant certainement détenir des secrets de gestion, qu’il ne voulait pas voir divulguer. Notre contact fut suffisamment positif pour que je propose à Bruno de reprendre, sans délais, la suite de son contrat de formation.
Il est tombé à pic, et je lui affectais la mission de gérer les réservations de Cap Sainte-Marie. Les téléphones qui sonnaient en permanence, les notes qui s’envolait sur la terrasse, en remplissaient le planning dans un bordel indescriptible mais aussi dans une bonne humeur évidente, tournant parfois à l’euphorie. Quel bon souvenir !!

Bruno a tenu le choc, satisfaisant ainsi ses promesses. Il nous en restera une véritable amitié qui perdurera et traversera l’océan jusqu’en France.

Je n’ai jamais eu d’affaire bénéficiant d’un engouement commercial aussi rapide. Elle a été aussi une des plus rentable. Nous n’avons jamais eu d’accident de navigation grâce à la rigueur de Massimiliano et à notre lucidité de refuser, certains jours de tempête, d’effectuer les traversées. La reconnaissance comme unique bateau fiable, s’est renforcée nous conférant une image de qualité, assurant notre succès.

En 2008, Massimiliano est parti pour Nosy Be et j’ai quitté Madagascar. Nous avons alors vendu à un Belge, cette entreprise, qu’il a payé au son juste prix.
Toute les cases étaient remplies : La réussite commerciale et économique de cette affaire, la qualité exceptionnelle de notre association, l’amitié qui en a découlée, le bonheur d’avoir œuvré dans la bonne humeur permanente et enfin une cession rémunératrice.

« Cap Sainte-Marie » conserve, pour longtemps, dans mes souvenirs une place privilégiée. Que du bonheur !
Je n’ai pas récupéré la maquette du bateau, c’est dommage, elle alimenterait mes rêveries.

2 commentaires sur « Episode 6 : La Saga de Cap Sainte-Marie »

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