
De la campagne électorale Par Alain. Je ne sais pas vous, mais moi, homme raisonnablement optimiste, qui aime à faire vibrer ses zygomatiques, je n’ai plus du tout envie de rigoler face au spectacle affligeant que nous offrent les compétiteurs à la magistrature suprême. Certes, je pressentais que cette campagne électorale, pour le moins atypique, allait nous réserver quelques surprises de taille, mais là je suis servi au-delà de toute espérance. C’est fait, nous avons atteint le degré zéro de la politique, et certains, avec une opiniâtreté qui force le respect, continuent de creuser ! Mais comment en est-on arrivé là ? L’absence de « grand homme », l’infantilisation et le morcellement du paysage politique, ont fait disparaitre le grand clivage gauche/droite qui régissait – tant bien que mal – notre système. Principe qui permettait de pratiquer un certain sens du compromis entre différents courants de pensées et débouchait sur des orientations, sinon raisonnées, du moins raisonnables. Nous assistons à une foire d’empoigne où chacun affirme régler toute question par des solutions aussi démagogiques qu’irréalisables ; le but n’est pas de proposer une orientation, mais de faire le buzz à titre personnel en évacuant le débat d’idées. Par contre, il est frappant de constater que tous les candidats sont en accord sur un même procédé : un problème = une dépense !… Sans, bien entendu, préciser comment financer ces cadeaux. Ah si ! Le patron de la France insoumise est le seul qui prétend pouvoir boucler son budget en prenant tout « aux riches ». C’est simple ! D’autres vous affirment que leurs propositions seront financées… par des économies… Bref, tout ce petit monde joue au père Noël sans aucune rigueur méthodologique. Désormais, chacun doit radicaliser son discours quitte à travestir la vérité à son profit. A ce sujet, il faut du culot et un certain cynisme pour jeter le doute – à l’instar de toute évidence historique – sur l’innocence de ce malheureux capitaine Dreyfus… ou pire encore, prétendre que le maréchal Pétain était un ardent défenseur des juifs, en oubliant opportunément que ce dernier était allé au-delà de la demande des nazis en promulguant leur infâme statut. C’est tout simplement abject. L’auteur de ces contre-vérités joue sur du velours puisqu’il lui suffit de lancer ces affirmations sur les plateaux télé sans être contesté ; prendre le temps d’une explication rationnelle, détaillée et argumentée jetterait à bas ses théories nauséabondes… ce qui serait bien trop long et parfaitement ennuyeux pour le téléspectateur ! Celui qui aime à se présenter comme un « historien » n’est en fait qu’un trublion opportuniste ; l’histoire est une science et non une girouette qui se déplace au gré des seules considérations idéologiques et, comme le dit très justement la sociologue Dominique Schnapper*, « les menaces contre les juifs ont toujours précédé le naufrage de la démocratie ». En fait, cette campagne électorale devient un grand spectacle qu’il convient de regarder comme une série Netflix ; il importe de choquer, diviser, provoquer l’affrontement permanent, si bien que même les opposants non extrémistes en sont rendus à dire n’importe quoi. Il faut privilégier l’affect sur la raison, jeter l’anathème sur son concurrent, instiller le doute en toute chose et favoriser les effets de manche à un débat éclairé. Il faudra pourtant bien redescendre sur terre face aux défis qui nous attendent dans cette France psychologiquement exsangue. Cette campagne aurait dû être l’occasion de débattre notamment des failles de notre économie, de l’amélioration des services publics, de la réforme territoriale, de l’innovation… mais je crains bien qu’aucun prétendant ne s’y risque au vu notamment de ce récent sondage comportant seize questions : – classer dans l’ordre de préférence votre thème de prédilection aux élections présidentielles. Viennent en premier le pouvoir d’achat… et en fin de course (quatorzième position) la dette publique ! La messe est dite. *Dominique Schnapper est directrice d’étude à l’EHESS et présidente du Comité des sages de la laïcité au ministère de l’Education nationale. Dernière parution : Temps inquiets. Réflexions sociologiques sur la condition juive chez Odile Jacob.