
Misha Katsouri est russe, il vit à Kharkiv, en Ukraine. Le 16 mars, des missiles russes pleuvent sur sa maison qui tremble. Il installe sa grand-mère dans la baignoire en fonte, pour la protéger et se terre sous un chambranle de porte.
Il téléphone à son père, gardien d’église en Oural :
« Papa, voilà ce qui se passe, c’est peut-être la dernière fois qu’on se parle »
« arrête tes conneries, je ne te crois pas »
« tu entends les obus, tu vois les vitres explosées, regardes »
« tu parles comme les nazis, tu mens »
Misha en pleure, mais rien n’y fait, son propre père ne le croit pas !
Misha s’en sortira vivant et créera son site « Poverpapa » (Papa, crois-moi ) qui recueillera, en quelques jours, 135.000 témoignages de russes confrontés comme lui, à la « zombification » de leurs proches.
Cette histoire n’est pas anecdotique, car si 15% des Russes sont contre la guerre, et que 25% s’en foutent, il en resterait 60% qui y seraient favorables, dont 15 % d’extrémistes, qui trouveraient Poutine trop mou.
Dès lors, la question se pose de savoir si la majorité de ce peuple ne porte pas une grande part de responsabilité dans l’agression contre l’Ukraine ? Seraient-ils les générateurs des folies de Poutine, ou simplement des complices ? Comment faut-il les considérer et les traiter ?
A Paris, François a tué sa femme, dans un accès de colère. Les jurés l’ont condamné à 15 ans de prison ferme, car ils ont retenu des circonstances atténuantes dû à son enfance chaotique chargée de privations et de sévices. Ce passé difficile a fait de François ce qu’il est devenu car ses forces n’ont jamais pris le dessus. La morale veut qu’il soit condamné.
Peut-on alors considérer que ces Russes, aveuglés par la propagande, sont pour autant irresponsables ?
Ou, au contraire, doit-on les blâmer de leur faiblesse, de leur naïveté, de leur formatage trop facile ?
Comment peuvent-ils prendre pour argent comptant la grossière propagande qui leur est imposée ?
Seraient-ils bêtes, arriérés ou tellement naïfs ? Seraient-ils motivés par des sentiments moins nobles ?
Un début de réponse se trouve dans deux ouvrages récents.
• Le livre « Retour de Russie » de Igor Gran, dans lequel il examine la fièvre nationaliste qui s’est propagée au Pays de Poutine.
Après s’être immergé, pendant des semaines, dans la télévision officielle russe, après avoir épluché internet et lu tout ce qui était accessible en Russie, il localise les origines du virus dans le bain culturel où l’on invoque Pouchkine sans l’avoir jamais lu.
Il décrit l’amour coprophage pour Staline, dans un ressentiment de haine contre l’Occident qui dépasse l’entendement.
Il braque le projecteur sur la psyché du peuple russe et dévoile le mystère bordélique de l’âme slave.
Il évoque la « zombification » du peuple à travers une propagande si grossière, qu’on dirait du sabotage.
Il étaye ses observations de quelques « fake news » incroyables, diffusées sur les chaînes d’Etat et validées par des gens aussi connus que Nikita Mikhalkov, mastodonte du cinéma russe.
Ces laboratoires secrets où l’on injecterait de l’ADN slave dans le virus du Covid, pour qu’il ne s’attaque qu’aux slaves, et que les oiseaux migrateurs seraient ensuite chargés de disséminer en Russie.
Le faux attentat déjoué contre Soloviev, propagandiste en chef de Poutine, pour lequel le FSB explique qu’il y avait un cocktail Molotov bricolé avec une bouteille…en plastique.
Côté, circonstances atténuantes, ce n’est guère mieux. Il explique que 49 millions de Russes sont connectés chaque jour à You Tube, qu’ils auraient une vision totale de ce qui se passe en Ukraine, mais choisiraient de ne pas le voir.
• « Le Roman vrai de Gorbatchev » de Vladimir Fédorovski qui explique pourquoi Mikhaïl Gorbatchev est glorifié en occident, mais haï aujourd’hui par les Russes, qui refusant la Pérestroïka et la Glasnost, considèrent qu’il a trahi son pays, en lui faisant porter le poids de toutes leurs difficultés.
Cette fois, point de propagande. Les Russes ont été informés du mouvement national à la recherche de plus de liberté, de plus d’égalité. Mais comme sous l’emprise d’un complexe de Stockholm à l’échèle nationale, ils ont pour la plupart, refusé la proposition. Eltsine, puis Poutine se sont engouffrés dans la brèche.