Le serveur

Au hasard d’un voyage, une halte opportune

Me permit d’observer, en me désaltérant,

Le tout jeune et nouveau serveur du restaurant.

Celui-ci paraissait quelque peu dans la lune…

Sa démarche, son port ainsi que son regard,

Qu’un premier examen pouvait dire hagard,

Tout en lui suggérait la douce nonchalance

Et le détachement de mainte contingence.

Son emploi, cependant, exigeant quelque effort,

Une table encombrée appelant on renfort,

Il s’en approcha donc, un plateau sur sa manche

Afin de desservir le dessus de la planche.

Cette opération semblant un jeu d’enfant,

Prit pourtant tout l’aspect d’un échec triomphant :

Posant tous les objets de façon maladroite,

Sans répartir à gauche comme à droite,

Il rompit l’équilibre et le tout en pâtit,

Le laissant afficher un visage interdit.

Ainsi voit-on des gens avec la bouche en cœur,

Ayant toute leur vie empilé mainte erreur

En dépit du bon sens le plus incoercible,

S’étonner sur le tard de revers prévisible

Qui leur est infligé par le retour des faits.

Je demeure ébloui qu’ils en soient stupéfaits.