
La construction, en 1797, d’un faux village luxueux, par des façades en carton-pâte, érigés par Potemkine pour masquer la misère en Crimée, lors de la visite de l’impératrice Catherine, serait une légende.
Aujourd’hui, se projetant en tsar d’un grand empire russe reconstitué, Poutine, relevant le défi de son ancêtre, s’est construit un imaginaire à la hauteur de ses ambitions.
Il a vissé sur son nez les lunettes virtuelles depuis fort longtemps, celles qui permettent d’interpréter le passé pour y déceler les évènements justifiant son idéologie. Celles qui permettent de se présenter comme le sauveur d’un peuple lobotomisé, en danger d’existence face à la menace d’un ennemi imaginaire. Celles de la propagande permanente, élevant le mensonge en attitude ordinaire, celles validant l’ignorance et la soumission du peuple comme des concepts humanistes. Celles enfin instituant la peur et l’ignorance, comme des moyens pour assurer la longévité de son pouvoir.
Sous haute protection, il navigue de palais dorés en palais dorés, distribuant quelques médailles aux idiots utiles – amputés le plus souvent et financés par sa bande d’oligarques mafieux qui rendent hommage et allégeance au parrain sanguinaire et n’envisagent la dissidence qu’à travers une chute de balcon.
Pour éviter le risque d’une remise en question, il s’isole de tous moyens d’informations qui pourraient conduire à une quelconque contrariété.
Toutes apparitions en public ou toutes présentations de sa prétendue force font l’objet d’une mise en scène millimétrée, avec pour seul objectif de faire apparaitre l’acteur principal en héros sauveur de la nation, dans une mise en scène qui, le plus souvent, sacrifie l’efficacité au profit du ridicule.
La puissance de sa force guerrière est annoncée à tout va comme autant d’armes destructrices innovantes et imparables qu’il pourrait utiliser pour gagner radicalement ses guerres contre ses adversaires tout aussi imaginaires.
Il est surprenant, aux yeux d’un occidental, que cette énorme supercherie fonctionne aussi bien auprès du peuple russe, sans comprendre qu’elle s’applique à une population formatée de longue date à la soumission par l’ignorance, et à la force et à la violence comme le meilleur moyen d’existence.
Les quelques dissidents internes sont muselés par la répression violente qui interdit toute forme de contestation ou simplement d’expressions contradictoires, et la gestion rigoureuse des frontières rend inaudible la critique venant de l’extérieur.
C’est ainsi que le peuple vit sous cloche, aveuglé par les phares de Poutine, sans imaginer n’avoir d’autres solutions que celle d’améliorer sa résilience pour supporter cette aliénation.
Bien sûr, cette « politique » exige une grande rigueur d’application, surtout en termes de verrouillage de la communication, pour éviter la moindre faille dans laquelle se glisserait le terreau d’une révolution qui est la hantise des dirigeants.
Bien sûr, ce mode de gouvernance est ingérable sur le long terme, car il formate une population incapable d’évoluer dans le monde en évolution, en déclassant les Russes aux yeux du reste du monde, et en les isolant pour longtemps de la modernité.
Bien sûr, faut-il accepter que le conflit permanent impose une économie de guerre, qui interdit l’espoir même d’améliorer la condition miséreuse du peuple, sans pour autant dégarnir la caisse des mafieux qui assurent la promotion du système en gaspillant les immenses ressources naturelles du pays.
Pour faire vivre cette immense supercherie de décérébration des quelques 150 000 Slaves russes, il convient de remplacer l’essentiel des valeurs d’humanité unanimement reconnues.
Le respect, l’acceptation, la reconnaissance, la considération, l’écoute, l’ouverture, la coopération, le civisme, l’honnêteté, l’action juste, le partage, l’entraide, la solidarité, la fraternité et l’empathie sont bannis de la pensée pour n’être plus que des honteuses expressions de la faiblesse et de la lâcheté des démocraties.
Enfin, l’ultime sécurité consiste en l’allégeance de l’Église, promue par un patriarche corrompu, qui confère une force divine au projet.
L’équilibre reste cependant difficile à maintenir car, comme un château de cartes ou comme les façades du village Potemkine, la vérité tenace revient toujours sur un coup de vent, et la dernière carte posée en haut de l’édifice est celle qui peut à tout moment déstabiliser la base, pour effondrer la fondation, dans le fracas de la désillusion.
Voici comment la vérité apparait :
Sur les résultats de la guerre :
En février 2022, la Russie envahit l’Ukraine en déclenchant une « opération spéciale » qui, en quelques jours, devait permettre l’allégeance du pays en remplaçant le président élu par un docile dirigeant pro-russe, à la botte de Moscou. Il était donc prévu et annoncé que l’immense supériorité militaire russe devait régler l’affaire en moins d’une semaine.
Trois ans plus tard et un million de combattants en moins, la Russie a conquis quelques ridicules milliers d’hectares en Ukraine et se voit attaquée en riposte, sur son propre territoire.
Poutine réaffirme régulièrement que la victoire est pour demain, ce qui est vrai puisque demain est toujours le lendemain d’aujourd’hui, jour de l’annonce répétée.
Sur les conséquences de la guerre :
- Affaiblir l’Union européenne en transformant ses faiblesses en discordes est un objectif clairement affiché de Poutine. Dans les faits, ce conflit a révélé un renforcement de l’union, globalement soudée dans ses actions d’aides à l’Ukraine, ainsi qu’une prise de conscience sur l’importance de constituer une armée européenne. La Russie obtient des résultats à l’opposé de ses objectifs.
- En voulant fragiliser et repousser les frontières de l’OTAN, Poutine n’a fait que les renforcer par l’adhésion de la Finlande en 2023 et de la Suède en 2024. Voilà encore une action ratée.
- L’opération spéciale devait intégrer les Ukrainiens à la nation russe. Elle a au contraire créé un séparatisme social par les discordances familiales, que la violence active en mode de non-retour.
- La volonté d’améliorer la mauvaise situation de la démographie russe en trop forte baisse passait par l’annexion espérée de 37 millions d’Ukrainiens et non pas 37 millions d’ennemis : pari perdu et largement aggravé par la disparition de plus de 600 mille combattants.
- Les primes et les salaires exorbitants payés par l’État russe pour enrôler ses soldats démontrent la difficulté du pouvoir à recruter. Prétendre que la Russie ne manque pas de soldats, au seul constat que les jeunes de Moscou ou de Saint-Pétersbourg ne sont pas enrôlés, est une erreur.
Contrairement aux populations pauvres des régions isolées, les jeunes de ces grandes villes ne sont pas en survie économique et sont suffisamment éduqués et informés pour comprendre les conséquences d’un engagement sur le front ukrainien. Le Kremlin craint d’envoyer cette population au combat, qui déstabiliserait leur propagande, car l’ignorance du peuple est une condition nécessaire au maintien du pouvoir en place. C’est pour cela que les dirigeants sacrifient un budget colossal destiné aux pauvres des régions isolées ainsi que l’ajout de soldats en provenance de la Corée du Nord. Les dirigeants estiment ne pas pouvoir décréter la mobilisation générale qui pourrait enclencher une prise de conscience de sa population en mettant en évidence l’insignifiance de cette guerre. Ils sont donc contraints de prendre des mesures dilatoires. - En violant, par son invasion, les règles internationales sur la souveraineté des États, la Russie s’est discréditée en apparaissant comme un État voyou. En violant les règles de la guerre, Poutine a perdu toute crédibilité jusqu’à sa condamnation comme criminel de guerre. En proliférant des mensonges permanents, il a perdu son audience internationale. En présentant des « lignes rouges » évoluant au fil des évènements, il a mis en évidence la fragilité de ses annonces fantaisistes.
- Par ses accords de défense ou de partenariat avec les pires dictatures, il démontre sa faculté à l’abandon de son indépendance et de sa souveraineté, par le fait que ses partenariats ne sont, à l’évidence, motivés que par l’intérêt qu’ils portent à leurs propres intérêts ponctuels de nature hégémonique et économique.
En conclusion, dans les faits, Poutine a conduit une politique lui imposant des résultats opposés à ses objectifs. Sa seule triste réussite réside dans la démonstration de la médiocrité de son idéologie aveugle et dans la hauteur de son incompétence.
Certes, il restera dans l’histoire, mais comme un tyran mafieux et destructeur de sa nation qu’il voulait élever au statut d’empire.
Il est évident aujourd’hui qu’il finira, comme tous ceux de son acabit, éliminé dans la violence, par ceux qu’il voulait servir.