Des Boomers prédateurs

Par Alain

Je ne sais pas vous, mais moi depuis quelque temps j’ai le moral dans les chaussettes. Accessoire que je porte d’ailleurs avec grâce et distinction en hommage aux charmantes tricoteuses françaises de chez Bleuforêt, qui, en leur atelier installé dans l’écrin des Vosges – patrie de la jonquille et du schlitteur* de course – portent haut le savoir-faire français destiné aux hommes de bon goût.

Ma tendre épouse, attentive à mon bonheur et inquiète de constater l’état de délabrement de l’homme de sa vie, ne cesse de me suggérer mille recettes aptes à faire évoluer mon moral chancelant : faire à vélo le tour du Bassin d’Arcachon ? Trop fatigant ! Tondre le gazon ? La tondeuse est en panne ! Lire la Somme théologique de Saint-Thomas d’Aquin ? Trop long, et puis c’est inachevé je ne connaîtrai jamais le dénouement !

Vous dire à quel point j’en suis, même le jubilé de la Royale veuve n’a pas réussi à m’arracher un soupçon de zygomatique. Voilà pourtant une manifestation qui devrait prêter à une bienfaisante jubilation : c’est sublimement kitch, parfaitement anachronique et délicieusement désuet. Etait-ce l’abus de ma tisane écossaise préférée ? Dans un premier temps, j’ai cru voir apparaître sur le célèbre balcon de Buckingham Palace deux chatoyants bonbons Harribo articulés… qui s’avérèrent finalement être la Patronne accompagnée du duc de Kent ; c’était d’un sinistre à trouver franchement hilarant un discours de Poutine sur les bienfaits de la démocratie.

Certes, les événements actuels ne sont pas favorables à une franche rigolade ; ce ne sont pourtant ni les problèmes internationaux, ni le triste spectacle de certains hommes politiques aux abois, prêts à toutes les compromissions  pour sauver leur gamelle, qui sont la source de mon humeur, mais la petite musique qui s’insinue depuis quelque temps dans les médias notamment dans la parution de l’ouvrage de François de Closets : La parenthèse boomers. Ce petit malin, surfant sur la tendance de l’ostracisme envers les vieux, s’est dit qu’un bon coup éditorial lui ferait bénéficier une fois encore des sunlights de la célébrité. C’est réussi puisque j’en parle !

Son bouquin est une charge sans nuance contre la génération des baby-boomers ; à l’en croire, les Boomers – traduisez vieux cons –prédateurs sans scrupules, auraient hérité d’un pays prospère qu’ils ont méthodiquement pillé par une attitude néfaste, égoïste et procrastinatrice ; ils se sont acharnés à ruiner la France et hypothéquer son avenir en s’enrichissant honteusement au détriment de leurs descendants. Tout y passe : la dette publique, la destruction de la planète, le déficit de notre balance commerciale, sans compter que cette génération a fait passer la France du culte de l’effort collectif à celui de l’individualisme hédoniste. J’en bats ma coulpe !

Ce trublion fait fi du développement de notre pays après guerre, des immenses progrès apportés grâce à ces Boomers, des innovations scientifiques, techniques et médicales qui profitent désormais à tous, de l’éducation du plus grand nombre, d’un système de garantie sociale performant, de la création d’une Europe qui, jusqu’à preuve du contraire, a maintenu la paix.

Comme beaucoup de mes contemporains, je n’ai connu ni trente-cinq heures ni RTT, j’ai donné seize mois de ma vie à l’institution militaire dans un bled allemand, j’ai créé des activités qui ont permis à l’Etat d’engranger de substantielles TVA… plus les impôts qui vont avec… puis laissé à deux de mes enfants une société qu’ils ont su faire prospérer.

Aussi, profitant honteusement de cette vie que je ne mérite pas, je tenais à m’excuser auprès des milléniaux de ne pas avoir eu la décence de quitter ce bas monde au moment de la retraite, juste après avoir réglé mes dernières cotisations sociales clôturant ainsi cinquante et un ans de versement.

*Pour les nuls en schlitteur : bûcheron qui assure le transport du bois grâce à une sorte de traineau : la schlitte, engin parfaitement dangereux déconseillé aux unijambistes.